[ANPPOM-L] [cercledemusicologie] Leonard Meyer

Qui Jan 3 09:18:26 BRST 2008

Prezados colegas, envio a vocês um importante  relato de Jean-Jacques JNattiez a respeito da  obra de Leonard B. Meyer (recentemente falecido) e que, a meu ver, deveria ser também traduzida em português, pela sua importância, profundidade e abrangência. 

Um grande abraço da colega e amiga

Sandra Loureiro de Freitas Reis

To: musisorbonne em cines.fr; cercledemusicologie em groupesyahoo.ca; cercledulrmm em LISTES.UMontreal.CAFrom: jean-jacques.nattiez em umontreal.caDate: Wed, 2 Jan 2008 16:19:30 -0500Subject: [cercledemusicologie] Leonard Meyer

La disparition récente (30 décembre 2007) du musicologue américain Leonard B. Meyer (né en 1918) mérite que nos sites musicologique de discussion et d’information  s’attardent  un peu à son œuvre qui devrait être mieux connue dans l’espace culturel francophone. Elle ne l’est sans doute pas assez parce que, à la différence de ce qui se passe en Italie, aucun de ses livres n’a fait l’objet de traduction dans notre langue. Sauf erreur, je ne connais de lui qu’un seul article publié en français, et au Québec (« Un univers d’universaux », Philosophie, No. 59, 1er septembre 1998, p. 23-49). J’espère me tromper. 

Leonard Meyer s’est d’abord fait connaître avec Emotion and Meaning in Music (University of Chicago Press, 1956), ouvrage qui est considéré comme l’un des premiers à établir des liens entre musicologie et sciences humaines. Le problème de la signification musicale, notamment sous l’angle affectif et émotionnel, y est en effet abordé en faisant appel aux principes de la psychologie de la forme (Gestalttheorie) pour caractériser et expliquer les processus de perception auditive. Dès ce livre, l’auteur y présente ce qui deviendra un fil conducteur majeur des ouvrages à venir : l’idée que, au fur et à mesure de son déroulement, les événements constitutifs d’une œuvre musicale créent  des attentes qui sont, ou non,  satisfaites.  

Un des grands mérites de Meyer est d’avoir systématiquement exploré ces principes gestaltistes dans les divers secteurs de la connaissance du musical. En l’appliquant au paramètre métrico-rythmique (The Rhythmic Structure of Music, University of Chicago Press, 1960, écrit en collaboration avec Grosvenor Cooper) et au paramètre mélodique (Explaining Music, Berkeley, Los Angeles, Londres, University of California Press, 1973). La deuxième partie de ce livre constitue ce qui est peut-être le seul traité moderne complet, cohérent et systématique, de l’analyse de la mélodie. En s’attaquant distinctement et successivement au paramètre métrico-rythmique et au paramètre mélodique, Meyer met en pratique, dans  l’organisation même de son œuvre scientifique, un principe  qu’il défend dans sa conception générale de l’analyse : l’idée que chaque paramètre musical fait l’objet d’un fonctionnement autonome, irréductible aux autres, même si des points de convergence peuvent apparaître ici et là, ainsi qu’il l’a brillamment illustré, entre autres,  dans l’analyse d’un mouvement de quatuor de Beethoven.   

Mais l’exploration meyerienne du musical ne s’en tient pas aux paramètres et à la singularité des œuvres. Il se préoccupe aussi de l’analyse du style dont il fournit une brillante théorie au seuil de son ouvrage Style and Music, Theory, History, and Ideology (Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 1989). Il y  propose une féconde distinction entre les lois, les règles et les stratégies, trois notions qui, chez lui,  correspondent respectivement à trois niveaux hiérarchiques présents dans chaque œuvre : les principes universels de la cognition musicale, les récurrences stylistiques et les résultats de l’utilisation, propre à  chaque compositeur, des lois universelles et des règles stylistiques.

Les  principes inspirés de la théorie de la Gestalt,  la conception paramétrique des œuvres et des styles, et son approche générale fondée sur l’organisation  hiérarchique du musical se retrouvent dans sa conception de l’histoire, brillamment illustrée dans un ouvrage dont le propos  dépasse largement les préoccupations des seuls musicologues : Music, the Arts, and Ideas. Patterns and Predictions in Twentieth-Century Culture (University of Chicago Press, 1967). Ce livre a fait l’objet d’une réédition en 1994, augmentée d’une postface où l’auteur examine si les prédictions qu’il avait risquées en 1967 quant à l’évolution du monde culturel et de la musique se sont réalisées. Il est assez admirable, voire étonnant,  de constater que, dès le début des années soixante, et avant la crise planétaire de 1968, Meyer avait imaginé l’émergence prochaine de ce que nous vivons aujourd’hui sous le nom de post-modernisme, ce qui tendrait à prouver que les principes sur lesquels sont fondés sa théorie de l’histoire sont vrais … 

En 2000, dans The Spheres of Music (University of Chicago Press), Leonard Meyer  a réuni huit articles essentiels de sa production, où il examine aussi bien le trio de la Symphonie en sol mineur de Mozart, que la vérification expérimentale de sa théorie perceptive, les modalités de la transformation stylistique et la question des universaux (avec l’article que j’ai cité en commençant). 

Analyse des paramètres musicaux, des œuvres, du style ; théorie de la perception musicale, de l’histoire de la musique, des universaux de la musique : cette énumération de ses préoccupations majeures, pour  trop rapide qu’elle soit, dit assez l’ampleur des axes d’intérêt de Leonard Meyer. Et parce que ces divers champs d’investigation sont abordés à partir d’une théorie cohérente et constante du fait musical, nous voici en présence d’un des rares édifices théoriques et pratiques qui puisse servir de fondement à une musicologie générale. C’est dire que l’œuvre de Meyer mérite d’être étudiée autant par les analystes que les historiens de la musique, mais aussi par ceux dont il n’a pas fréquenté les champs de recherche (parce qu’il ne se considérait pas compétent pour cela) :  les ethnomusicologues et les spécialistes des musiques populaires. 

Maintenant que son œuvre est close, l’heure est venue de la  saisir dans sa globalité, d’en explorer la richesse, d’en tester la fécondité, et, bien entendu, de la discuter.  

Jean-Jacques Nattiez
Université de Montréal  
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